14 juillet : liberté, égalité... et fraternité ?

# La balle au bond - 3

7/14/20234 min read

Même si elle était dans l’air révolutionnaire, la fraternité n’apparait dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui, déclarant les hommes libres et égaux en droit, s’en tient ainsi aux notions de liberté et d’égalité.

Au nom de l’égalité, on instaure l’égalité devant la loi sans distinction de religion ce qui permet aux français de religion juive d’exercer toutes les professions.

Au nom de la liberté, la loi de 1905 reconnait la liberté religieuse et le libre exercice de tous les cultes.

En revanche, même si elle apparait dans la fameuse devise républicaine « liberté, égalité, fraternité » à la fin du XIXème siècle, on a du mal à traduire concrètement l’idéal de fraternité.

« L’idée de fraternité se voit remise en cause (…), on lui reproche de receler une dimension affective insusceptible d’être traduite en droit (…)

Elle « souffre aux yeux des réformateurs d’un double handicap tenant d’une part, à ses origines chrétiennes lesquelles cadrent mal avec le combat laïc et anti-clérical qui commence alors d’être mené ; d’autre part, à sa vocation naturelle à nier les conflits de classe (…) la solidarité n’est pas dotée, comme la fraternité d’une quelconque dimension affective et sentimentale ; elle appartient à la langue juridique et peut donc passer toute entière dans le Droit » (Michel Borgetto, Professeur de droit émérite, Fraternité et solidarité).

On n’y renonce pas pour autant.

Les constitutions de 1946 et de 1958 réaffirment que la devise de la république est « liberté, égalité, fraternité » et le principe de fraternité réapparait peu à peu au travers de la loi et du droit.

En 1988, la loi du 1er décembre instituant le Revenu Minimum d’insertion met l’accent sur le devoir d’insertion.

« Si le propos du législateur n’avait consisté qu’à mettre en œuvre le principe de solidarité, il aurait suffi de créer un droit à l’allocation, à charge pour son titulaire de se débrouiller seul pour tenter de sortir de sa situation d’exclusion.

Mais si le législateur entendait aller plus loin qu’une simple consécration de la solidarité et désirait se conformer concrètement au principe de fraternité, l’affirmation du devoir d’insertion devenait alors strictement indispensable : ce principe exigeant à l’évidence que la société ne limite pas son effort à l’octroi d’une aide financière mais entreprenne d’aider les exclus à se réinsérer (…) manifestation juridique du principe de fraternité ». (Michel Borgetto).

En 2016, un agriculteur est interpellé pour avoir organisé l’aide à des migrants entrant en France par la vallée de la Roya, région frontière entre la France et l’Italie, les conduisant chez lui puis, parce qu’il manquait de place, aménageant en dortoir un bâtiment inoccupé de la SNCF à Saint-Dalmas-de-Tende.

Condamné en 2017 par la Cour d’appel d’Aix en Provence au motif que son action s’inscrivait dans une démarche militante ayant pour but de contourner les contrôles mis en œuvre par les autorités, cet homme (Cédric Herrou) a contesté sa condamnation devant la Cour de cassation au motif qu’elle portait atteinte au principe de fraternité.

Le 6 juillet 2028, le Conseil constitutionnel lui a donné raison en considérant que le législateur

devait faire en sorte de concilier l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière avec le principe de fraternité et ne pouvait pas pénaliser l’aide apportée dans un but humanitaire, sans contrepartie, à un étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire.

La disposition du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui avait servi de fondement à la condamnation a été modifiée par une loi du 10 septembre 2018 et cette modification étant d’application immédiate, la Cour d’appel de Lyon a, le 13 mai 2020, prononcé la relaxe de l’agriculteur militant.

Il découle donc du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour.

Le principe de fraternité devient ainsi un principe efficient au service d’une certaine vision de la société.

C’est une nouvelle source de droits qui est à l’œuvre et qui transperce déjà la droit de l’environnement où l’on en appelle, au nom du principe de fraternité, à la nécessité de respecter le droit des générations futures à vivre dans un monde préservé.

Le droit de l’environnement, disait un ancien juge de la cour suprême du Canada, « est un de ceux qui impose à l’homme de dépasser son égoïsme et de se tourner vers l’esprit de partage. Ne pas polluer l’espace des autres pays, respecter la biosphère comme un bien commun des hommes et laisser un environnement viable aux génération futures est un devoir de fraternité ». (La fraternité dans le droit constitutionnel français, hommage à Charles Gonthier, Guy Canivet).

Et c’est bien au nom du droit des générations futures que la cour constitutionnelle allemande a, en 2022, invalidé en partie un projet de loi climat qu’elle ne trouvait pas suffisamment ambitieuse.

Ainsi, « on a pris peu à peu conscience qu’il ne suffisait pas, pour remplir toutes les promesses de la République, d’institutionnaliser la solidarité ; encore fallait-il pour y parvenir, compléter celle-ci en lui donnant ce qui très souvent lui fait défaut : à savoir la chaleur dans les relations humaines, de la convivialité, de l’amour, de l’affection et de la considération. En d’autres termes, on a pris peu à peu conscience qu’il fallait insuffler dans les lois davantage de fraternité » (Michel Borgetto).

Cécile Cuvier Rodière