Affaire Sarkozy : confusion entre droit et morale ?

# La balle au bond - 1

5/22/20233 min read

Le fait d’actualité

Le 19 mai 2023 : la Cour d’appel de Paris condamne M. Sarkozy pour corruption et trafic d’influence et son avocate commente en direct la décision en ces termes : « Des leçons de morale, peut-être. Du droit ? peu »

Sous-entendu : les juges ont rendu leur décision en se fondant sur des considérations morales plutôt que des considérations juridiques auxquels ils doivent pourtant se tenir.

Un court état de l’art sur le sujet

Il s’agit d’appliquer les règles de droit précises auxquelles nous sommes tous soumis, à la fois pour assurer l’égalité devant la loi et pour respecter la sécurité juridique qui permet à chacun de savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

Le droit est précis quand la morale ne l’est pas mais de la morale, il en est question partout et la frontière entre droit et morale est loin d’être étanche.

La loi prévoit ainsi que les contrats doivent être négociés et exécutés de bonne foi (article 1104 du code civil). Or il est difficile pour un juge d’apprécier la bonne ou la mauvaise foi d’un justiciable sans porter un certain jugement moral sur sa conduite.

Son comportement est alors analysé par rapport à ce que l’on considère comme un comportement raisonnable et moralement acceptable par la société.

Ce sont aussi pour des raisons d’ordre moral que la justice condamne celui qui use de son droit dans le seul but de nuire à autrui et ce faisant, abuse de son droit.

La condamnation est alors rendue au nom de l’abus de droit, « notion subjective et psychologique, puisqu’elle est tirée de l’état d’âme du titulaire à l’instant où il agit, notion d’ordre profondément moral aussi car elle est appelée à assurer le triomphe de l’esprit de la loi sur le texte » (Louis Josserand, de l’abus des droits, 1905).

Le droit n’est donc pas exempt de morale et en plus des arguments de droit qui lui sont présentés, la justice est très sensible au fait qu’on lui paraisse ou non de bonne foi.

Le risque

Cette part de jugement moral introduit une part de subjectivité déstabilisante pour le justiciable (et son avocat) car il n’est pas toujours facile d’expliquer des comportements humains qui ne sont pas ceux de l’homme raisonnable auxquels la justice se réfère...

Par exemple, une personne qui revient sur un accord auquel elle avait au préalable consenti sera soupçonnée d’être de mauvaise foi, d’avoir une attitude amorale en revenant sur sa parole alors qu’il est possible qu’elle ait agi de bonne foi, n’ayant compris son erreur qu’après coup, en parlant autour d’elle ou en prenant davantage le temps d’y réfléchir.

Il existe alors un risque qu’elle perde son procès, bien que sa demande d’annulation repose sur des arguments de droit solides parce que la justice aurait le sentiment, en lui donnant raison, de cautionner un acte immoral.

La référence

Dans un ouvrage consacré aux adages du droit, deux célèbres juristes commentaient ainsi les cas où le droit rejoint la morale :

« Le plus significatif, dans ces hypothèses, est que la solution va à l’encontre, en cas de besoin, du droit écrit, de la lettre du du texte, de la disposition expresse : elle y apporte les assouplissements, les correctifs, les tempéraments que dicte la loi morale.

Et que dire du jugement selon l’équité que les plaideurs peuvent autoriser sous certaines limites et, qu’à défaut, le juge s’autorise à pratiquer ? Plus personne ne nie aujourd’hui que la tendance est à inverser le processus d’élaboration du jugement : plutôt que de partir de la règle de droit pour arriver à la solution concrète, les magistrats commencent par dégager la solution humainement désirable à leurs yeux et remontent ainsi à la norme qui peut servir de revêtement juridique ».

(Henri Roland et Laurent Boyer sous l’adage « Jus est ars boni et aequi » : le droit est l’art du bon et de l’équitable)

Cécile Cuvier Rodière