L'arbitre a (presque) toujours raison...

# Comprendre la justice - 3

Lors de matchs de la France pour la coupe du monde de football 2022, l’arbitrage a été remis en question. Cette chronique est l’occasion de se demander si et à quelles conditions une décision d’arbitrage peut être contestée, qu’il s’agisse de sport ou de justice.

Les passages soulignés renvoient à des éléments explicatifs extérieurs. 

Le fait d’actualité : en demi-finale, la France bat le Maroc après avoir été battu par la Tunisie 1 à 0 en quart de finale.

Le Maroc a déposé une réclamation auprès de la FIFA en reprochant à l’arbitre ne pas lui avoir accordé des penalties qui aurait pu changer la face du match.

Ce recours n’avait aucune chance d’aboutir car il revenait à contester l’interprétation du jeu par l’arbitre alors que l’article 9.1 du Code de Discipline de la FIFA rappelle clairement que « les décisions prises par l’arbitre sur le terrain sont définitives et ne peuvent faire l’objet d’une révision par les organes juridictionnels de la FIFA ».

Avant cela, la France avait aussi déposé une réclamation qui était d’une autre nature car elle s’appuyait, pour ce que l’on en sait, sur un élément de procédure.

Selon la Fédération Française, l’arbitre aurait annulé le but en analysant la vidéo à un moment où, selon le protocole d’assistance vidéo à l’arbitrage, il n’en avait plus le droit.

Cela étant, ce protocole indique aussi que « la décision finale revient toujours à l’arbitre ». Le recours français a donc également été rejeté. Ce rejet illustre l’extrême difficulté qu’il y a à contester une décision de l’arbitre.

En réalité, les recours possibles sont limités à des causes extrêmes, n’ayant rien à voir avec les règles du jeu, comme la corruption.

C’est pour cette raison qu’un match éliminatoire pour la Coupe du Monde 2018 a été annulé et rejoué : l’arbitre avait intentionnellement commis des erreurs d’arbitrage pour que le score valide des paris sportifs (Sénégal / Afrique du Sud, 12 novembre 2016).

Et en dehors du sport ?

En dehors du sport, il y a aussi des arbitres et leurs décisions sont tout aussi difficiles à contester.

La fameuse affaire Tapie en est l’illustration.

Alors que de nombreux procès opposaient le groupe Tapie au CDR, organisme mi-public, mi -privé, chargé de redresser le Crédit Lyonnais, il a été décidé de recourir à un arbitrage pour mettre fin au conflit.

On passait ainsi de la justice publique à la justice privée en décidant que la sentence serait rendue par des arbitres choisis par les parties et non par des juges.

A l’unanimité, les arbitres ont estimé que le Crédit Lyonnais avait commis une faute en n’informant pas le groupe Tapie des négociations que la banque menait pour acquérir des actions qu’elle était chargée de vendre.

Cette décision allait dans le sens d’une décision déjà rendue par la Cour d’appel de Paris qui avait, elle aussi, considéré que la banque était fautive.

En principe, la décision des arbitres, était inattaquable conformément à l’article 1489 du code de procédure civile en vertu duquel « la sentence (arbitrale) n’est pas susceptible d’appel » (sauf convention contraire des parties).

Mais comme en matière de sport, une sentence arbitrale peut être annulée en cas de fraude et ce fut le cas.

La sentence a été annulée après la découverte des liens d’un des arbitres avec l’un des avocats de Bernard Tapie.

Pour la Cour d’appel qui annule la sentence, ces faits établissent que « l’arbitrage a été voulu, organisé et mis en œuvre dans des conditions frauduleuses » (Paris, 17 février 2015, 13/13278).

Coin du néophyte

La clause d’arbitrage ou clause compromissoire

Les arbitrages ne sont pas réservés à des affaires aussi complexes que l’affaire Tapie.

L’arbitrage peut être prévu dans tous les contrats avec une clause généralement placée à la fin sous le titre de « loi applicable » ou de « règlement des litiges », indiquant par exemple que « les parties conviennent de soumettre à l’arbitrage l’ensemble des litiges pouvant naitre du présent contrat ».

L’accepter, c’est accepter d’avoir recours à une justice privée qui peut avoir l’avantage d’être plus au fait des usages, plus rapide et plus discrète mais qui a un coût (puisque les arbitres sont rémunérés) et qui dépend de la qualité des arbitres.

Comme au football où le choix des arbitres peut susciter des commentaires avant même que le match ait commencé, il faut en effet trouver des personnes compétentes, indépendantes et dignes de confiance.

Dans l’affaire TAPIE, les parties avaient choisi un avocat de grande expérience, un ancien magistrat ayant occupé de hautes fonctions et un ancien ministre qui avait aussi été député et Président du Conseil Constitutionnel.

Dans des affaires plus courantes, le choix de l’arbitre peut être une première phase délicate.

Il faut donc bien avoir ce schéma en tête si l’on signe un contrat avec une clause d’arbitrage en sachant que contrairement à ce qui se passe avec la justice ordinaire, il ne sera pas possible de faire appel de la décision des arbitres.

L’amiable composition

La clause d’arbitrage peut indiquer aussi que les arbitres sont autorisés à statuer « en amiables compositeurs », formule d’apparence sympathique mais qui est tout sauf anodine car elle signifie que les arbitres pourront statuer non pas en droit mais en équité.

C’est une différence de taille car le juge ordinaire ne peut pas juger en équité et doit appliquer la loi même si elle lui parait inéquitable.

En revanche, en cas d’amiable composition, l’équité peut l’emporter dans le sillage d’Aristote qui présentait l’homme équitable comme celui qui n’est pas « l’homme d’une justice tatillonne ».

Cet homme, écrit Aristote, voudra « préférer s’en remettre à un arbitrage plutôt qu’à un jugement des tribunaux ; car l’arbitre voit l’équité, le juge ne voit que la loi ; l’arbitre n’a, d’ailleurs, été inventé que pour donner force à l’équité » (Aristote, Éthique de Nicomaque).

La fixation du prix des parts ou des actions d’un associé partant ou exclu

Il faut aussi être vigilant face à une clause indiquant qu’en cas de désaccord sur le prix de rachat des parts ou des actions d’un associé, le prix sera fixé par un expert dans les conditions prévues par l’article 1843-4 du code civil.

Cette clause peut être prévue, par exemple, en cas d’exclusion ou de cessation des fonctions salariés entrainant la perte de qualité d’associé nécessitant que l’on fixe le prix des parts ou des actions que l’on doit racheter à l’associé partant ou exclu.

C’est alors un expert, nommé par un juge, qui fixe le prix de ces parts ou de ces actions et, comme la décision d’un arbitre, cette décision est quasiment incontestable.

La seule façon de la contester est de démontrer, en justice, que l’évaluation de l’expert est entachée d’une « erreur grossière » ce qui ne répond qu’à des cas exceptionnels.

Il ne faut donc pas confondre ce type d’expertise avec une expertise judiciaire classique à l’issue de laquelle l’expert dépose un rapport et donne un avis qui est ensuite débattu en justice et que le juge n’est pas obligé de suivre.

Le coin du juriste

L’exception au secret de l’instruction

Les liquidateurs du groupe TAPIE opposait à la CDR le fait que les pièces produites pour établir la fraude alléguée étaient tirées de l’information pénale en violation de l’article 11 du code de procédure pénale posant le principe du secret de l’instruction.

La Cour d’appel rejette l’argument au motif que les parties avaient été invitées par le Conseiller de la Mise en État à demander au Ministère Public la production de documents provenant d’autres procédures et que le secret de l’instruction n’est pas opposable au Ministère Public agissant dans le cadre d’un recours en révision sur le fondement de l’article 600 du Code de Procédure Civile.