Les statuts de LR et du PS au cœur d’une bataille politico-judiciaire

# Comprendre la justice - 1

Cette chronique part du procès qui a précédé l’élection du futur président du parti Les Républicains, pour illustrer l’importance des statuts : leur contenu et leur clarté.

Le fait d'actualité : L’élection du président des Républicains les 3 et 4 décembre 2022

Mme CALMELS avait annoncé sa candidature mais la Haute Autorité du Parti l’a refusée au motif que la candidate n’était pas à jour de sa cotisation.

Mme CALMELS a contesté cette décision en saisissant la justice et le 21 septembre 2022, le Tribunal judiciaire, statuant en référé, lui a donné raison en considérant que la condition d’être à jour de ses cotisations est « de manière évidente, une condition nouvelle par rapport à celles prévues par les statuts et le règlement intérieur qui eux-mêmes comportent des clauses ambigües ».

Les statuts sont comme un contrat passé entre les associés.

Cette décision de justice rappelle à la fois que l’on a tout intérêt à avoir des statuts clairs et complets et qu’il n’est pas possible d’y ajouter des règles nouvelles sans utiliser la procédure de révision déjà prévue par les statuts.

Et au parti socialiste ?

Quelques mois auparavant, le Parti Socialiste avait aussi eu recours à l’argument des cotisations en retard pour échapper au procès intenté par des militants mécontents que la direction ait passé un accord avec la France Insoumise sans consulter les fédérations.

Comme pour les Républicains, tout s’est joué en fonction des statuts.

En premier lieu, le Tribunal Judiciaire de Créteil a relevé que, selon les statuts du Parti socialiste, la qualité de membre du parti ne peut se perdre que par la radiation, la démission ou l’exclusion.

Les militants mécontents n’ayant été ni radiés, ni exclus, ni démissionnaires, ils restaient militants et étaient bien qualifiés pour agir en justice contre leur parti.

En second lieu, le juge a examiné l’article 5.1.1 des statuts selon lequel « les accords nationaux signés par la direction nationale après consultation des fédérations et ratification par une convention nationale, s’imposent à tous les échelons du parti, quel que soit le type d’élection ».

Le juge en a déduit que la direction ne pouvait pas signer l’accord sans avoir consulté les fédérations et l’avoir fait ratifier par une convention nationale.

En conséquence, le Tribunal a interdit au Parti socialiste de se prévaloir de l’accord en lui enjoignant de convoquer une convention nationale dans le délai d’un mois.

Mais 5 jours plus tard et en troisième lieu, la Cour d’appel de Paris a fait machine arrière en se fondant sur un autre article des statuts, l’article 5.2.2, disposant que « Les désignations des candidats pour les élections législatives sont adoptées en convention nationale sauf en cas de nécessité, par délégation par le bureau national ».

Pour la Cour d’appel, le Parti socialiste était en état de nécessité et le bureau national pouvait décider seul en raison des « délais contraints liés à la proximité des élections ».

Ces deux affaires illustrent l’importance des statuts qui sont, en cas de procès, le document essentiel auquel les juges se réfèrent.

Pour aller plus loin, cette rubrique est suivie de petits compléments d’information à l’attention des juristes ou des néophytes pour les aider à mieux comprendre la procédure et les termes juridiques employés.

Le coin des néophytes

L'obligation d'avoir un règlement intérieur conforme aux statuts

Le parti Les Républicains a perdu son procès après que le juge ait examiné ses statuts mais aussi son règlement intérieur qui venait en préciser les modalités.

Cette imbrication entre statuts et règlement intérieur est courante et n’est pas sans danger comme en atteste le cas, cette fois sans rapport avec la politique, d’une société constituée entre kinésithérapeutes.

Ces kinésithérapeutes avaient inséré, dans leur règlement intérieur, une clause assez classique, dite de non-rétablissement ou de non-réinstallation, prévoyant qu’en cas de départ de la société, un kinésithérapeute ne devait pas s’installer à moins de 20 kilomètres du cabinet et cela, pendant trois ans.

Or, la justice a considéré que cette clause était inapplicable car elle était en contradiction avec les statuts de la société disposant que le but de la société était de « fournir les moyens matériels nécessaires à la profession et d’en faciliter l’exercice ».

Pour la Cour d’appel de Riom, la clause de non-rétablissement insérée dans le règlement intérieur entravait l’exercice de la profession au lieu de la faciliter comme le prévoyait les statuts dont la valeur est supérieure à celle du règlement.

En conséquence, le kinésithérapeute partant était libre de s’installer où il voulait...

Cette décision parait contestable car la clause avait peut-être pour effet d’entraver l’exercice du kinésithérapeute partant mais elle permettait aussi de faciliter l’exercice de ceux qui restaient. Toujours est-il que la Cour de cassation a confirmé en considérant que « Justifie légalement sa décision la cour d'appel qui, après avoir rappelé qu'une société civile de moyens associant plusieurs masseurs-kinésithérapeutes a, selon ses statuts, pour objet exclusif "la mise en commun de tous moyens matériels et utiles à l'exercice de la profession de ses membres", retient que la clause de non-réinstallation contenue dans le règlement intérieur ne peut être considérée comme conforme aux objectifs ainsi développés, et qui ajoute que son application aboutirait à restreindre considérablement les droits des associés manifestant la volonté de se retirer " (Riom 16.12.19, 09 00676, Cass. 01.03.21 10-13795).

La procédure de référé d’heure à heure

Une procédure de « référé » est une procédure d’urgence qui devient un « référé d’heure à heure » en cas d’extrême urgence pratiquée par les Tribunaux judiciaires et les Tribunaux administratifs.

Dans le cas du Parti Socialiste, il s’agissait d’une véritable course de vitesse car l’accord électoral passé le 5 mai devait s’appliquer de manière quasi-immédiate en vue des élections des 12 et 19 juin 2022.

Il y a donc eu recours à une procédure de référé d’heure à heure : saisi le 30 mai 2022, le Tribunal de Créteil a fixé son audience le 2 juin pour entendre les plaidoiries des avocats et a rendu sa décision le 7 juin. (TJ Créteil, 22/00753)

Le Parti Socialiste a fait appel devant la Cour d’appel de Paris qui a tenu son audience le 12 juin et rendu sa décision le 19 juin. (CA Paris, 22/09719)

La procédure d’appel

La justice est rendue par des Tribunaux dont les décisions peuvent être contestées devant une Cour d’appel par celui auquel le Tribunal a donné tort ou qui l’a condamné.

Le rôle de la Cour d’appel est alors de rejuger complétement l’affaire et cela peut la conduire à rendre une décision différente, soit parce qu’on lui a présenté des éléments nouveaux (nouvelles preuves, nouveaux témoignages, nouveaux documents…), soit parce qu’elle adopte une autre analyse juridique comme l’a fait la Cour d’appel de Paris en décidant de s’appuyer sur un autre article des statuts du Parti Socialiste.

Ensuite, il est encore possible de saisir la Cour de Cassation mais la discussion ne peut plus porter que sur l’analyse juridique.

Le coin du juriste

Distinction entre validité et opposabilité d’un accord

La cour d’appel de Paris a donné raison au Parti Socialiste mais n’a pas complètement fermé la porte aux militants.

En effet, elle indique dans son arrêt que « la consultation des fédérations et la ratification par une convention nationale ne constituent pas une condition de validité de l’accord en cause mais une condition d’opposabilité à tous les échelons de désignation du parti ».

L’accord était donc valable puisque la Cour ne l’a pas annulé mais inopposable aux échelons du parti qui ont été court-circuités ce qui a ouvert la voie à des candidatures dissidentes.

Cela explique que plusieurs fédérations du Parti Socialiste aient désigné des candidats non retenus par l’accord électoral conclu par la Direction dans le cadre de la NUPES.